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es métiers de l’hôtellerie attirent-ils le jeune ? Elle ne lui garantit pas cette « vie équilibrée » devenue critère fondamental dans ses choix de carrière. En revanche, il en a une très bonne image. Le rapport Kantar, réalisé à la fin de 2019 pour l’AHRIM sur l’attractivité du secteur auprès des jeunes, a pour mérite de rassurer sur une situation que l’on craignait catastrophique. Face aux autres secteurs de l’économie, l’hôtellerie ne s’en sort pas si mal…

Un jeune sur deux interrogés sur sa perception du secteur  touristique lui attribue une note de plus de 8 sur 10, qui rivalise honorablement avec la banque et l’informatique. Car il juge l’hôtellerie accessible et diversifiée en matière d’emplois. « La perception de l’hôtellerie comme un microcosme de métiers est réellement fondée. S’il y a un secteur qui peut plaire à tout le monde, c’est bien le nôtre. Que les jeunes y soient sensibles est extrêmement encourageant. C’est un argument commercial fort, sur lequel il faut s’appuyer pour leur vendre nos autres arguments»,  se réjouit Bertrand Piat, Group HR Officer, Beachcomber.

Dans cette bonne image, il y a aussi, très certainement, le fait que le monde de l’hôtellerie se rattache à un imaginaire proche des valeurs des jeunes, telles que définies dans ce rapport :  la relation à l’autre pour se réaliser, l’envie de voyage, le goût du plaisir… « Le tourisme attire aussi parce qu’il est une porte vers le monde. Il offre la possibilité de s’ouvrir, d’aller en expatriation… Nous vivons dans une île. Les possibilités de voyager sont limitées. L’hôtel vous permet de rencontrer des gens du monde entier, de voyager d’une autre façon… », explique Jean Cyril Jullienne, Chief HR Officer, VLH.  

L’autre bonne nouvelle est qu’un réservoir de ressources intéressées existe bel et bien. Dans les 44 % des collégiens préférant une formation professionnelle à des études universitaires après le HSC, ceux qui citent le tourisme et l’hôtellerie comme premier choix sont de loin les plus nombreux. Ils sont demandeurs d’une formation en cuisine, pour le « front office » et pour le bar. Près de 50 % de ceux qui ont cet intérêt pour l’hôtellerie souhaitent une formation longue (plus d’un an). « Le vivier est là, et c’est là que repose la solution à nos problèmes. Le rapport nous indique clairement où privilégier nos recherches, vers quel public cible orienter notre communication, une communication qui dissiperait les freins au recrutement et à la rétention », ajoute Bertrand Piat.

Ce qui freine le recrutement

Les analystes de Kantar relèvent trois raisons qui expliquent le ralentissement dans le recrutement : une perception négative des conditions d’emploi et de travail ; un manque de connaissance des métiers de l’hôtellerie et des possibilités de formation ; et un manque de reconnaissance sociale de ces métiers.

Le premier frein est difficile à lever parce qu’il tient à la réalité du métier. « Un bon salaire… et les week-ends libres pour en profiter », demande le jeune en priorité. Une attente somme toute légitime. Sur le plan de la rémunération, les DRH se défendent : l’hôtellerie n’est pas à la traîne des autres secteurs. En revanche, les contraintes de travail, inhérentes à l’industrie, ne laissent pas beaucoup de marge de manoeuvre pour une adaptation à ces attentes... « Nous sommes une industrie qui fonctionne 24/7. Nous sommes organisés pour offrir un service le soir et les jours de fête. Et cela ne va pas changer. Il y a un langage de vérité à adopter à l’égard des jeunes. Nous devons opérer dans les limites qui nous permettent de contenir nos coûts d’opération », dit Bertrand.

Il est tout à fait possible, toutefois, de se rapprocher de ces attentes. Avec Flexjob, le groupe VLH s’est lancé dans un programme fondé sur la flexibilité que recherche la jeune génération. « En pariant sur le travail horaire plutôt que mensuel, on lui offre la possibilité d’avoir un job qui lui laisse du temps pour ses loisirs, cette flexibilité qu’il recherche pour profiter de l’argent qu’il gagne », dit Jean Cyril, qui attend aussi de cette formule qu’elle soit un moyen pour le jeune de découvrir un secteur qu’il connaît mal.

A l’instar de VLH, les groupes hôteliers font l’effort de créer un environnement où le jeune retrouve ses repères. Ici et là, des initiatives concrètes pour accommoder autant que possible le souhait d’un « work-life balance » aux impératifs de productivité sont en place. Les programmes de bien-être et les avantages sociaux, qui se sont considérablement étoffés ces dernières années, sont autant de mesures qui viennent compenser les horaires « ingrates ». D’Attitude Ena Talan aux Sun Excellence Awards, il y a au coeur des programmes d’émulation, une forte volonté de valoriser l’humain, de créer des espaces de détente. « Il est important aussi de digitaliser l’expérience employé. Avec applis et intranet, nous donnons à cette génération connectée l’occasion de retrouver ses repères. Il a accès à toutes les infos à l’instant T pour renseigner les clients, » ajoute Jean-Cyril.

Une problématique de communication

Les hôteliers doivent encore murir leur stratégie pour faire évoluer le secteur dans le sens des aspirations des jeunes. Mais une grosse part du challenge réside dans la communication des avantages dont ils peuvent bénéficier en se joignant au secteur. Ciblée et articulée, cette stratégie de communication permettrait de surmonter ces autres perceptions observées qui constituent des freins à l’adhésion des jeunes : le manque de connaissance des métiers de l’hôtellerie et des possibilités de formation ; et un manque de reconnaissance sociale de ces métiers.

La vraie problématique serait donc une de communication. L’hôtellerie a insuffisamment « vendu » l’emploi sécurisé, les avantages sociaux, les formations adaptées aux envies et aux niveaux des jeunes, la possibilité de s’ouvrir au monde et de travailler à l’international…. « Ce rapport nous met face à une vérité, reconnaît Bertrand. Nous n’avons pas bien fait notre marketing. Et dans un contexte où nous sommes en situation de concurrence par rapport à un même approvisionnement étriqué, c’est une question fondamentale. »

Pourtant, tous insistent : l’histoire à raconter est fabuleuse. « Les success stories, la mobilité transversale, c’est colossal dans le secteur, souligne Bertrand. Un Entertainer qui devient HR Manager, un Waiter qui devient Quality Assurance Manager, un commis qui devient directeur d’hôtel… L’hôtellerie n’a pas son égal en matière d’ascension sociale. Notre ‘belief in people development’ est extrêmement fort.  Mais nous n’avons pas su le raconter. »

Là encore, ça bouge, à des degrés divers certes. Job Fairs et Road shows dans les écoles rurales deviennent plus fréquents. Les role models sortent des hôtels pour s’adresser aux collégiens. Paralèllement, on essaie de retenir les nouvelles recrues qui découvrent l’hôtellerie. « La premiere année est décisive. Nous travaillons à leur donner envie de rester», dit Jean-Cyril. VLH a mis en place un Talent Management Program, basé sur huit points de contact. « A chacune de ces étapes, des actions sont prises pour améliorer l’expérience de l’employé : formations, rewards, etc. » De même chez Beachcomber, un 3 day-3 month Onboarding Program vient d’être créé pour un meilleur encadrement.

Un manque de compétences

Un environnement beau, des occasions de grandir humainement, des expertises qui ne demandent qu’à être partagées…  Autant d’arguments pour communiquer. Mais si des campagnes soutenues et créatives vont améliorer l’image de l’hôtellerie, elles ne résoudront pas complètement le problème, pensent les DRH. Car ce débat sur la jeunesse s’inscrit dans une problématique plus large, celle du décalage entre l’offre et la demande en ressources. « Nous avons en permanence une centaine de postes vacants dans chaque grand groupe hôtelier. Malgré une bonne campagne d’image, malgré l’attrait confirmé pour le secteur, je ne vois pas comment on pourra combler ces postes avec les secteurs économiques en concurrence. L’approvisionnement en compétences restera insuffisant », dit Bertrand.

Ce qui est vrai pour le volume de jobs à prendre, est aussi vrai pour la qualité des compétences. L’école hôtelière n’arrive toujours pas à fournir en qualité les compétences nécessaires. « L’hôtellerie mauricienne s’est construite sur certaines qualités reconnues mondialement, qualité d’accueil, d’hospitalité, d’efficacité… Pour préserver ces qualités, il est essentiel de trouver de jeunes Mauriciens présentant ces attitudes qui ont fait notre réussite et notre image, » s’inquiète-t-il. Une attitude de détermination aussi, ajoute son confrère.

Si cette situation doit perdurer, il faudra envisager des solutions plus radicales. « Peut-être serons-nous amenés à réserver les ‘frontline jobs’ aux compétences mauriciennes et à explorer d’autres solutions pour le ‘back of house’ : importer des compétences, externaliser le ‘stewarding’ ou automatiser certaines activités comme le nettoyage… » prévoit Jean-Cyril.

Mais ça, c’est une autre histoire… Dans celle qui nous préoccupe – comment séduire les jeunes – il y a de l’espoir… « Définitivement, approuve Bertrand. A chaque Onboarding Trip, je suis ébloui par l’étincelle dans le regard des jeunes qui se joignent au secteur, par la qualité de leurs questions, la gratitude… »

Ce rapport permettra la mise en oeuvre d’une stratégie visant à accroître la notoriété et de changer la perception de ces cibles. Trois publics clés ont été clairement identifiés : des collégiens âgés entre 16 et 20 ans qui souhaitent travailler directement après le collège ou faire une formation technique à partir de la F IV ; ceux qui souhaitent faire une formation professionnelle après le collège ; et les jeunes actifs dans des secteurs n’ayant pas de formation (BPO, etc). Il s’agira, pour les toucher, de moderniser l’image du secteur, de les rassurer sur les conditions et bénéfices, de leur montrer très clairement les perspectives de développement.