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oyons lucides : il n’y a pas que le tourisme qui est en berne. Soyons cash également : avec plus d’un million de visiteurs par an et toutes les retombées directes et indirectes du secteur, aucun Mauricien n’est épargné par les impacts associés à l’absence de touristes dans l’île. Au-delà de l’aspect financier direct, il y a tout un écosystème lié au tourisme qui agrémente le quotidien de chacun. Après une contribution significative à la qualité de la vie, nous allons nous sentir bien esseulés sur notre île.

Philippe-NoelLes plaisanciers, les marchands de plage, les artistes, les propriétaires de taxis, les opérateurs de restaurants, les auberges et toutes les structures orientées vers nos visiteurs sont un peu plus gagnés par la fébrilité chaque jour. C’est tout un plaisir de vie, se nourrissant de la richesse des échanges et du partage, qui est menacé. La mauvaise santé du tourisme jette une ombre sur toute l’économie – hausse du déficit public et de la dette, apport de devises en net recul, dépréciation de la monnaie, absence de recettes pour les opérateurs ne sont que quelques manifestations de cette décroissance. L’addition est corsée pour la population, qui voit déjà son pouvoir d’achat laminé, en raison de ces augmentations de prix qui touchent des produits et services essentiels à tous. Pensez au lait, au fromage, aux fournitures scolaires, aux frais d’examens.

Le tourisme projette son aura encore plus loin. Ce secteur fait aussi vivre notre culture, nos traditions, nos folklores. Par exemple, quand il permet à un auteur-compositeur de trouver dans les établissements hôteliers la reconnaissance nécessaire à sa motivation. La préservation et la promotion de notre patrimoine culturel, de la langue ou des traditions orales – tels que le séga – découlent, à bien des égards, du rapprochement, du dialogue, entre les visiteurs et la population locale. Sans cette dynamique, ce supplément d’âme, c’est toute notre intégration au reste du monde qui est mise à l’épreuve.

L’asphyxie de notre économie avec le tourisme au point mort

Il est indéniable que la pandémie de la COVID-19 a occasionné – et continue de causer – des bouleversements à l’échelle planétaire. Le petit État insulaire que nous sommes peut tirer une satisfaction légitime d’avoir su gérer ensemble une situation qui, sous d’autres cieux, a généré des scénarios bien plus dramatiques sur plusieurs plans, ce qui a valu à Maurice d’être donné en exemple par l’Organisation mondiale de la santé.

Nous sommes malheureusement loin d’être sortis d’affaire : on annonce une augmentation significative du chômage et une contraction substantielle de notre produit intérieur brut (PIB). Les sérieuses répercussions socio-économiques de la série d’événements auxquels nous avons dû faire face au cours des derniers mois, conjuguées avec la fermeture des frontières depuis mars, sont palpables pour tous les secteurs.

Après plusieurs années consécutives de croissance positive, l’économie liée au tourisme est au point mort depuis la fermeture des frontières en mars dernier. Les pouvoirs publics, de leur côté, ont déployé des efforts financiers importants pour maintenir le pays à flot en cette période critique. Des mesures d’accompagnement exceptionnelles ont été introduites dès le début du confinement et dans le budget national pour atténuer les effets dramatiques de la crise sanitaire. Le gouvernement et les entreprises privées ont déjà établi de nouveaux records d’endettement. Alors qu’un peu plus de 30 000 emplois directs dans le secteur ont été maintenus sous perfusion grâce à ces efforts, plus de 90 000 autres emplois indirects subissent la crise de plein fouet. Certains opérateurs mettent la clé sous la porte faute de ressources nécessaires pour continuer ce combat inégal contre la machine économique.

L’année dernière encore, on frisait les 1,4 million de touristes et des revenus bruts tournant autour de Rs 63 milliards pour un secteur qui emploie en temps normal quelque 120 000 personnes, soit environ 20 % de la population active, et représente approximativement 19 % du PIB du pays.

Agir ensemble pour le bien commun

Il faut avant tout travailler ensemble à trouver le juste équilibre. Prendre en compte le bien commun sans confondre vitesse et précipitation. Certes, ce n’est pas facile d’y parvenir, mais les enjeux pour tout le pays sont trop importants. Nous devons agir pour le bien de tous.

Le rétablissement d’une connectivité aérienne plus intense est vital pour assurer le redémarrage aussi bien de l’aviation que du tourisme à Maurice. En ces temps incertains, et malgré les difficultés que connaît actuellement Air Mauritius, nous avons encore davantage pris conscience de l’importance d’un transporteur national pour assurer le service minimum nécessaire. Le salut d’Air Mauritius est un ballon d’oxygène capital pour le secteur.

Sur le plan sanitaire, aucun nouveau cas de COVID-19 ne s’est déclaré dans la communauté locale. Le système de dépistage, de mise en quarantaine et de prise en charge des cas suspects s’est avéré très efficace jusqu’ici. Les autorités ne baissent pas la garde et renforcent les mesures de détection et de prévention, notamment avec la mise en place d’un laboratoire à l’aéroport pour effectuer des tests PCR sur les passagers à l’arrivée.

Le protocole sanitaire lié à la réouverture des frontières est en ce sens un point de départ essentiel à la mise en œuvre d’une reprise progressive de l’activité touristique. Les opérateurs du secteur ont aussi pris des dispositions strictes à leur niveau pour préserver la santé et la sécurité de leur personnel, de leurs clients et de leurs prestataires divers.

Réussir à relancer l’industrie en acceptant que le contexte est délicat

En situation d’urgence économique, l’heure n’est plus à la temporisation. Acceptons l’idée que le risque zéro n’existe pas et faisons du mieux possible pour nous adapter à cette nouvelle réalité. Malgré leur meilleure volonté, les opérateurs auront beaucoup de difficultés pour relancer les réservations en l’absence d’une visibilité accrue sur la réouverture. Il est impératif d’assurer une communication régulière et efficace avec toutes les parties prenantes, afin de permettre aux acteurs du tourisme de jouer leurs rôles respectifs.

Nous, les professionnels du tourisme, avons à cœur d’être des acteurs engagés de la relance de notre secteur. Nos entreprises ont démontré qu’elles sont viscéralement mauriciennes et de nombreuses voix se sont déjà fait entendre à ce sujet. C’est notre souhait commun de voir l’économie nationale reprendre son élan et, bien sûr, c’est l’amour du pays qui s’exprime. Nous faisons évidement partie de la solution et nous devons dégager avec nos partenaires publics et parapublics un plan de relance clair.

Ensemble, nous avons su faire face à une crise sanitaire sans précédent. C’est donc en restant unis et solidaires que nous en aborderons au mieux la sortie. Gardons constamment en ligne de mire nos intérêts communs, pour la santé de notre pays, de notre peuple et de notre économie. Dans cet environnent de marché compliqué, misons davantage sur l’innovation pour stimuler la demande. Face à tant d’incertitudes, il nous faut une dose subtile d’humilité, d’agilité et de capacité d’adaptation. C’est à cette condition que nous pourrons respirer à nouveau et remettre l’activité touristique au service de toute notre île.

Levier de développement et de croissance essentiel, le tourisme doit apporter sa contribution pour reconstruire l’édifice. Dans un monde instable et imprévisible, les discours dépassent la défense de prés carrés pour partager des inquiétudes et intérêts communs, car le dynamisme à nos frontières est essentiel à la bonne santé de notre société. En clair, ce sont les touristes qui paient les salaires de nombreux Mauriciens. Ce sont des dizaines de milliers de familles qui en dépendent. Notre nation ne peut s’en passer.

Philippe Espitalier-Noël
Chief Executive Officer du Groupe Rogers