Par Pierre Dinan

Pierredinan

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uelles mesures mettre en place pour assurer la pérennité du secteur et sa contribution positive à l’économie de notre pays ? Les statistiques portant sur l’évolution du secteur touristique ces onze dernières années, publiées récemment, permettent de poser un état des lieux de l’industrie et d’explorer les perspectives sur son avenir. Telle est la démarche de cette analyse.

Les arrivées touristiques

En 2018, Maurice a accueilli quelque 1,4 millions de touristes, soit 50,4% de plus qu’en 2008. A première vue, une performance honorable, sauf que l’on est obligé de modérer son sentiment de satisfaction lorsque l’on constate que la courbe de croissance annuelle est en tendance baissière depuis 2017. En effet, si en 2015 et 2016, cette courbe de croissance a été égale à 10,9% et 10,8% respectivement, elle n’a atteint que 5,2% en 2017 et 4,3% en 2018. Les causes de ce ralentissement sont, sans doute, multiples, telles que la concurrence internationale et le climat économique mondial. A prendre également en ligne de compte la réduction du nombre de touristes en provenance de la Chine (9,9% de moins en 2018 qu’en 2017) et de l’Inde (0,6% de moins). L’eurocentrisme du tourisme mauricien a la dent dure.

La concurrence internationale

S’agissant de concurrence internationale, il est intéressant de comparer le taux de croissance de nos arrivées touristiques à celui de nos proches concurrents, notamment les Maldives, les Seychelles et le Sri Lanka. Pendant que Maurice a, comme évoqué précédemment, accueilli en 2018, 50,4% de touristes de plus qu’en 2008, les proportions correspondantes sont comme suit chez nos proches concurrents :

Maldives 117,3%
Seychelles 127,6%
Sri Lanka 432,3%

On doit, certes, évoquer le fait que l’implantation du secteur touristique dans chacun de ces trois pays n’est pas strictement comparable à celle de Maurice, notamment en termes de nombre d’années d’existence et du niveau de développement. Il y a lieu de penser qu’en 2008, le secteur touristique mauricien était plus développé que celui des trois pays précités, ce qui expliquerait, dans leur cas, un taux de croissance plus élevé que chez nous. Mais la leçon à retenir est celle-ci : d’autres acteurs peuvent, à tout moment, apparaitre sur le marché et en réclamer une part. Rien n’est jamais acquis. Rappelons, à cet effet, que durant la décennie qui vient de s’écouler, l’industrie touristique a connu des soubresauts. Le taux moyen d’occupation des hôtels avait, en pleine saison, atteint Pierredinan en janvier 2008, mais il descendait à seulement 67% en janvier 2013. Cinq ans après, en janvier 2018, le taux était remonté à 77%. L’ouverture accrue du ciel à des compagnies aériennes étrangères a été, sans doute, un facteur déterminant dans ce contexte.

Contribution à l’économie mauricienne

Regard sue avenirIl convient maintenant d’évaluer le poids du secteur touristique dans l’économie mauricienne. Cette contribution, qui est calculée par Statistics Mauritius, regroupe plusieurs activités liées directement ou indirectement au tourisme, notamment à l’hôtellerie, la restauration, le transport, les loisirs et la fabrication d’objets-souvenirs. En gros, le secteur touristique, tel que défini ci-dessus, a contribué, en 2018, une valeur ajoutée de 36,6 milliards de roupies au PIB (Produit Intérieur Brut), alors qu’en 2008, cette contribution avait été de l’ordre de 25,1 milliards. Durant ces onze années consécutives, le pourcentage de contribution a oscillé autour de 8%. C’est ainsi que, parmi les secteurs économiques générateurs de recettes d’exportation, l’industrie touristique se situe au premier rang. Cette stabilité relative cache, toutefois, des variantes importantes en termes de croissance annuelle du secteur, telles qu’estimées par Statistics Mauritius. Ainsi, on observe qu’en 2009, le secteur enregistre une croissance négative de 4,2%. Les années suivantes (2010-2015) enregistrent des taux positifs de croissance jusqu’au record de 11,1% en 2016. Malheureusement, une tendance baissière du taux de croissance s’est installée depuis et, en 2018, ce taux n’a été que de 4,2%. Autant dire que la volatilité fait partie de l’évolution annuelle du secteur touristique et qu’il faut se garder de tomber dans le piège de croire que les quelque 8% de contribution annuelle au PIB sont un acquis irrévocable.

La main-d’oeuvre

L’industrie touristique est reconnue comme étant à forte intensité de main-d’oeuvre. C’est pourquoi, d’ailleurs, cette industrie
de prestations de service fait partie de la panoplie d’activités qu’a adoptée Maurice pour diversifier son économie depuis les années soixante-dix, car à cette époque-là, le taux de chômage était une préoccupation constante.

Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu’en 2017, les activités hôtelières et de restauration procuraient de l’emploi à quelque 41 600 personnes, soit 7,3% de l’emploi total dans le pays. Les chiffres correspondants, dix ans auparavant en 2008, étaient 36 500 emplois, soit 6,7% de l’emploi total. Précisons aussi qu’en 2018, trois emplois sur quatre du secteur touristique étaient assurés par des entreprises employant un minimum de dix personnes, c’est-à-dire des entreprises offrant, en principe, une sécurité et une pérennité des emplois.
On notera, aussi, que le salaire moyen dans ces entreprises a été estimé à 20 010 roupies en mars 2018, comparé à 11 550 roupies en
mars 2008. Durant cette période, le salaire moyen a suivi une courbe ascendante d’année en année.

Le capital financier

Forte intensité de main-d’oeuvre, certes. Mais le secteur touristique, particulièrement sa composante hôtellerie, requiert des investissements réguliers, non seulement pour les projets nouveaux, mais aussi pour les inévitables rénovations périodiques du parc hôtelier. Durant la décennie écoulée, l’investissement dans le secteur a suivi une courbe descendante, de 21,4% de la formation brute de capital fixe à l’échelle nationale en 2008, à 7,3% en 2018. Il faudrait une analyse en profondeur pour élucider les causes de cette courbe descendante.

Les questions qui se posent

– Est-ce un signe de maturité du parc hôtelier, de nouveaux projets n’étant plus une priorité, pas plus que le renouvellement de l’existant, d’ailleurs ?
– Est-ce une raréfaction des capitaux d’investissement étrangers, vu qu’en 2017 et en 2018, par exemple, le secteur hôtelier n’a bénéficié que de 2,2% et 0,5% de ces flux, alors qu’en 2014, un pic de 32,4% avait été atteint ?
– Ou encore, est-ce parce que le secteur touristique est fortement endetté ? Il est opportun de rappeler qu’à la fin de septembre 2018, par exemple, le secteur touristique représentait 14,1% de l’endettement des entreprises privées auprès des banques, soit 45,8 milliards par rapport à un total de 325,7 milliards pour la totalité des secteurs. Et au sein du secteur touristique, 94,8% de cet endettement de 45,8 milliards (soit 43,4 milliards) concernait les hôtels.
Ces faits et chiffres interpellent. Quelles qu’en soient les causes, il est clair que les besoins de liquidité peuvent être significatifs pour les investissements relatifs au maintien du parc hôtelier, d’où l’importance de réaliser des bénéfices, d’année en année, afin de pouvoir financer les renouvellements requis périodiquement tout en s’assurant du service obligatoire de cette dette grandissante.

Le poids de la fiscalité

Des bénéfices sont certes réalisés par l’ensemble du secteur, et c’est heureux qu’il en soit ainsi, pour les investisseurs, la main-d’oeuvre et l’économie dans son ensemble. Dans ce contexte, il y a lieu de souligner comment le secteur touristique est une source importante de revenus fiscaux pour le budget national. Ainsi, en 2017-18, il est estimé qu’un montant de quelque 6,65 milliards de roupies a été versé en termes de taxes par le secteur, les plus conséquents étant 4,33 milliards au titre de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), 1,65 milliards au titre de taxes sur les billets d’avion et 328 millions au titre de la taxe pour la protection de l’environnement.

Deux ans auparavant, soit en 2015-16, le secteur avait contribué 5,4 milliards au Trésor Public. En l’espace de deux ans, la croissance des rentrées fiscales provenant du secteur du tourisme aura donc été de quelque 23,1%. Durant cette même période, la valeur ajoutée que le tourisme a contribuée à l’économie nationale a augmenté de 16,9%. C’est un signe que les autorités doivent s’assurer que la pression fiscale ne prenne pas l’ascenseur d’année en année : il y va non seulement de la capacité des hôteliers et des restaurateurs de dégager des surplus pour les investissements futurs, mais aussi de la compétitivité internationale de Maurice, le billet d’avion intrinsèquement plus cher à cause de la distance, étant aussi frappé d’un fort pourcentage de taxes au bénéfice du Trésor public.
Tel est donc, en un rapide tour d’horizon, l’état des lieux du secteur touristique mauricien :
• le champion en termes de contribution au PIB
• un pourvoyeur significatif d’emplois
• des contributions fiscales conséquentes et en hausse, mais aussi
• un niveau d’endettement qui fragilise et qui interpelle, et
• un taux de croissance sujet à de la volatilité et inférieur à celui des concurrents régionaux, notamment les Seychelles, les Maldives et Sri Lanka.

Diversification du produit

Ce n’est donc pas l’heure de dormir sur ses lauriers et de croire que l’industrie touristique ne peut que continuer de progresser et de contribuer, comme jusqu’ici et de manière significative, au développement de l’économie mauricienne. Au contraire, l’heure est venue de réfléchir aux mesures à prendre pour que le tourisme continue sur sa lancée, sachant que la concurrence internationale est une réalité bien présente et qu’elle peut s’intensifier. D’ailleurs, la performance amoindrie du premier trimestre de 2019 (décroissance de 1,2% des arrivées par rapport à 2018) est là pour bien nous le rappeler.
La réflexion mène à une interrogation, c’est celle de la pérennité du modèle touristique mauricien. Jusqu’ici, la beauté naturelle du pays avec ses plages de sable fin, la mer bleue et le soleil généreux a été un atout indéniable pour le tourisme mauricien. Atout qu’il convient à tout prix de conserver et de préserver contre toute atteinte à l’état de l’environnement actuel. Toutefois, nous n’avons pas l’exclusivité d’un tel environnement. Les pays précités peuvent nous concurrencer à cet égard, et de loin.

Que devons-nous faire de plus pour nous différencier de nos concurrents ? Poser une telle question, c’est évoquer les possibilités de diversification du produit touristique mauricien. Au-delà du farniente journalier que nous offrons aux touristes allongés sur leurs transats en bord de mer, ne devrions-nous pas les inviter à davantage visiter l’intérieur du pays verdoyant qui est le nôtre et à visiter des lieux caractéristiques des cultures diverses de ceux qui, venus de trois continents, construisent ce pays depuis trois siècles ?

Des centres-villes dignes de ce nom

Autant dire que l’intérieur du pays doit faire l’objet de soins particuliers en termes d’esthétique et d’environnement. Nos centres-villes doivent être soignés et beaux à visiter, avec des parcs, des musées, des places publiques, des bâtiments en bon état d’entretien, et des trottoirs en bon état et sans risque pour le piéton.
On rétorquera que les récents centres commerciaux constituent un appât pour les touristes : c’est oublier que ces centres sont largement copiés sur des modèles internationaux, et que les touristes seront davantage intéressés à visiter des lieux portant des empreintes de la spécificité mauricienne.

L’accueil mauricien

L’espace terrien doit donc être soigné, afin que le produit touristique mauricien soit diversifié et attirant aux visiteurs. Il va de soi que l’environnement doit être particulièrement protégé, et qu’une guerre sans merci soit menée contre la pollution des lieux. Mais il y a un aspect additionnel à considérer, c’est celui du traditionnel accueil des Mauriciens à l’égard des touristes étrangers. Compte tenu du vieillissement de la population, l’on constate déjà, dans certains établissements touristiques, que la main-d’oeuvre étrangère est déjà présente. Il est impérieux que cette maind’oeuvre soit entrainée de sorte qu’elle puisse toujours offrir aux touristes les prestations avec la compétence et le sourire à la mauricienne. Les diverses écoles hôtelières, l’Ecole Sir Gaetan Duval en tête, auront certainement un rôle significatif à jouer dans ce domaine. Le tourisme est une industrie très sensible au climat social. Il va de soi, donc, que celui-ci doit constamment faire l’objet d’une attention particulière de la part des autorités. Un développement socio-économique inclusif est une nécessité, ce qui à Maurice se traduit par un Etat-Providence dont le rôle fondamental doit être de secourir tous ceux qui n’arrivent pas, par leurs propres moyens, à subvenir à leurs besoins de base. Les récents actes de violence dans différentes parties du pays, ainsi que des vols perpétrés aux dépens des touristes, sont un signe négatif et requièrent des mesures d’assainissement. Le social méritetoute l’attention des Mauriciens, gouvernants et gouvernés, mais les mesures à prendre ne doivent pas être teintées d’arrière-pensée politique.

La poule aux oeufs d’or

Le tourisme mauricien a un profil de gagnant, c’est l’image qu’il projette depuis son lancement – timide, certes – depuis une soixantaine d’années. Aujourd’hui, il occupe la première place parmi les industries mauriciennes parvenues à maturité, et il a l’avantage, du moins en apparence, de ne pas être en butte à des défis existentialistes, comme c’est le cas pour le sucre, le textile et les services financiers transfrontaliers. Faut-il alors se contenter de gérer l’existant, de considérer le tourisme comme une poule aux oeufs d’or, et d’envisager l’avenir avec sérénité ? Ce serait téméraire et à courte vue ! L’état des lieux présenté dans la première partie de cet article a permis de prendre conscience des défis, peu ou pas encore visibles ou matérialisés, auxquels l’industrie va être confrontée durant les années à venir.

Ne tergiversons pas à adopter une stratégie de renouvellement, particulièrement en termes d’un espace terrien approprié, d’un climat social serein et de prestations de services marquées par l’accueil caractéristique mauricien. C’est maintenant qu’il faut adopter les stratégies de renouvellement et d’adaptation à des conditions de marché en constante évolution. C’est ainsi que le tourisme mauricien perdurera.