Par Gaetan Siew

Gaetan Siew

L

a Génération Z n’a pas la même relation au voyage que ses aînés. Il veut voir le monde sous ses aspects méconnus. Il veut le sentir, le vivre, le rencontrer dans son « authenticité ».
A ce voyageur de demain, plus attiré par les bruissements et les curiosités de la ville que par l’hôtellerie de plage 5-étoiles, qu’avons-nous à offrir ? Je ne vois pas beaucoup d’endroits autres que Mahébourg qui puisse correspondre à ses attentes et l’attirer jusqu’à nous. Cette ville est, à mes yeux de voyageur passionné et d’architecte urbaniste, la parfaite plateforme de transition vers le nouveau tourisme, le tourisme de l’expérience. Parce que Mahébourg a un potentiel exceptionnel de « storytelling ».

Le premier fil de ce récit est bien évidemment historique. Créée en 1806, la ville a été la scène de guerres et de conquêtes. Son maillage urbain, son musée naval, les lieux emblématiques autour desquels elle s’est bâtie – la Magistrature et l’Eglise -portent l’imaginaire de la vie coloniale. A côté de ses éléments d’architecture raffinée, ses grandes demeures de bois et de pierre de l’ère coloniale française et anglaise, des maisons plus modestes mais tout aussi typiques racontent la transformation sociale et politique de l’île.

L’autre fil narratif est sa richesse culturelle. Mahébourg a un caractère pluriel par excellence, une population mixte qui pourrait inspirer des slogans comme Bridging Places ou Weaving Identities… On y trouve les plus vieux édifices religieux du pays : église, mosquée, temples hindous racontent une diversité qui peut nous paraître banale, à nous Mauriciens, mais qui reste exceptionnelle aux yeux d’un étranger. Qu’il s’agisse du temple tamoul construit en 1856 ou du « mandiram » telegu dont l’architecture particulière exprime magnifiquement la convergence de nos influences, ces monuments ont gardé toute leur élégance. Entre ces haltes obligées, une multitude d’attractions traditionnelles composent la carte de visite : fabrique de biscuits artisanaux, régates saisonnières, restaurants de fruits de mer, tissage de panier de pandamus à Bambous Virieux, atelier de maquette de bateaux, expéditions de pêche matinale…

Enfin, ville administrative admirablement bien pensée et généralement bien préservée de la décadence urbaine, Mahébourg a tout pour générer la valeur qui assurera son développement en une belle destination. Sa situation géographique lui a valu d’acquérir une dimension économique importante. Non seulement elle était le point de départ de la production sucrière du sud, mais située entre mer et fleuve, elle est le chef-lieu de l’activité pélagique de la région. Extrêmement bien connectée, à 15 minutes de l’aéroport et accessible à pied de Pointe d’Esny, elle est à plus d’un titre de grand intérêt touristique.

Avec tout ça, on imagine sans mal les produits à vocation culturelle et à valeur ajoutée pour l’industrie qui pourraient se déployer au coeur et autour de la ville. Mais pour capitaliser sur ces atouts, Mahébourg a néanmoins besoin d’une régénération mobilisant ses différentes ressources et impliquant un nouvel agencement spatial. Une régénération mûrement réfléchie et durable du centre-ville et une expansion périphérique scrupuleusement alignée sur le plan urbain d’origine, de telle sorte qu’elle génère un impact positif sur le Mahébourg plus vaste, qu’elle inclue dans son développement les producteurs de bananes de Plaine-Magnien et les distillateurs d’ylang-ylang d’Anse Jonchée.

Identifier les atouts

Régénérer une ville, ce n’est pas la transformer en ce qu’elle n’est pas, ce n’est pas en faire un centre commercial aseptisé. Ce n’est pas se limiter à créer quelques magasins de curiosités pour touristes. C’est mettre en place un véritable programme constitué d’une variété de projets, c’est améliorer les attributs susceptibles de favoriser l’aménagement des espaces et d’attirer les résidents et les visiteurs. Pour repenser la ville, il faut donc en tout premier lieu l’analyser, l’écouter correctement. Cette démarche initiale de compréhension de ses forces et de ses faiblesses a, pour moi, un objectif essentiel : révéler ses atouts méconnus pour les valoriser et contrôler son développement pour qu’il serve réellement sa population.

L’analyse de la ville peut faire émerger des surprises. L’une d’elle a été, pour nous, la Rivière-La Chaux. On connaît de la ville son front de mer, mais sait-on que derrière le Musée naval se cache une magnifique forêt endémique qui longe la rivière sur plus de deux kilomètres ? Des berges qui offrent de formidables possibilités de randonnées, des eaux navigables… Autre atout de taille : la topographie de la ville. Elle est coupée en deux parties, le centre-ville et la partie résidentielle. Parfaitement quadrillée, elle se traverse sans peine en 15 minutes à pied. C’est la structure idéale pour imaginer des circuits de promenades et des routes piétonnières.

Identifier ces atouts avant de penser à une stratégie de développement de la région est fondamental. Je ne suis pas sûr qu’on l’ait fait en ouvrant un immense centre commercial à l’entrée de la ville. Cela va certainement avoir pour conséquence un mouvement de voitures plus dense dans et hors de la ville, ce qui va à l’encontre d’une réelle valorisation des attributs de la ville, notamment cette structure routière qui pourrait permettre des itinéraires à pied et faire respirer le centre-ville…

Délimiter une zone d’intervention

Une fois l’analyse faite, il est important de délimiter une Zone d’intervention prioritaire. Elle nous a semblé toute définie : elle s’étend de la mer à la rivière, elle comprend la vielle ville, le musée, l’église. Règlementé par un cahier de charges, le développement dans cette zone peut alors se faire de façon « contenue » qui préserverait le caractère et le cachet de la ville. Tout restaurant qui souhaiterait s’installer sur une rue piétonnière devra ainsi respecter l’esprit général du projet, de même qu’un propriétaire qui rénoverait sa maison.

Il est fort heureux que la mise en place de cette première étape soit désormais facilitée par les autorités. Sur le même principe que pour les Smart Cities, l’Economic Development Board (EDB) examine des projets de régénération urbaine. Si le programme et le plan d’action que nous proposons est approuvé, toute société ou entreprise intéressée par la région devrait bénéficier d’incitations fiscales intéressantes pour mettre en œuvre un certain nombre de projets de façon accélérée.

Régénérer en quatre E

La méthodologie que nous préconisons pour entreprendre cette régénération se résume en trois mots : Equipement, Expérience et Evénement. En filigrane de ces axes, il y a bien entendu un quatrième E, Environnement, une préoccupation constante, qui doit dicter chaque initiative pour un développement véritablement durable.

Le premier volet, c’est l’Equipement. Avant d’accueillir des visiteurs, il va de soi qu’on met sa maison en état. Il s’agit donc de mettre à niveau, d’améliorer et de connecter les actifs de la ville. Equiper la ville, c’est :

  • Consolider tous les services de base et les infrastructures publiques (les utilitaires, la sécurité, le réseau Wifi).
  • Nettoyer et embellir, c’est-à-dire créer des espaces verts et des squares.
  • Protéger les zones humides et les plans d’eau.
  • Organiser la mobilité, en aménageant des circuits piétonniers, des pistes cyclables, un taxi aquatique, des zones de parking, un réseau de bicyclettes électriques.
  • Rénover et promouvoir les sites patrimoniaux et les maisons traditionnelles. En prenant avantage du National Regeneration Program, le privé peut rénover des bâtiments existants et investir ainsi dans l’espace public.
  • Mettre à la disposition de la ville des équipements mobiles de célébration
  • Concevoir un format d’affichage unique et harmonisé pour l’ensemble du réseau urbain;
  • Développer des applications de vie intelligente – Ex : VisitMahebourg

Aucune de ces actions n’implique de chantier d’envergure. Il s’agit simplement de réhabiliter l’existant. Certes, pour bien faire les choses, on peut oser des projets plus ambitieux qui rehausseront la valeur du site. Je pense à l’hôpital. Edifice historique de caractère, il donne sur la rivière. Ne serait-il pas magnifiquement mis en valeur transformé en Site culturel ou en Centre de bien-être cinq étoiles ? Est-ce naïf de penser qu’un déplacement des services hospitaliers à la périphérie du centre-ville pourrait être envisagé sans susciter de soulèvement populaire ?  Est-ce fou de penser que pour laisser respirer le centre-ville et ses routes piétonnières, le terminus d’autobus pourrait être délocalisé à côté du Bo’Vallon Mall ? Après tout, les « feeder buses » et autres petites navettes sont désormais entrés dans nos mœurs…

Le deuxième E, c’est l’Expérience. C’est là que l’on peut toucher ce jeune Millénial à la recherche d’immersion, sensible aux causes sociales et environnementales, soucieux de donner du sens à son voyage. Ces projets où il pourrait vivre et sentir Mahébourg dans son authenticité peuvent être :

  • Le « Street Food Market », un marché de nuit dans le Mahebourg Tourist Village
  • Le Marché du lundi à Pointe Canon
  • Une Expérience monastique au coeur de la ville, à l’Eglise Notre Dame des Anges ;
  • Des séjours actifs dans des fermes à Beau Vallon, sur le modèle de Babylonstoren à Cape Town
  • Des Activités en rivière : canyoning, rafting, balade en bateau
  • Les Sentiers du patrimoine : des randonnées Terre-Mer-Rivière, des treks en forêt endémique
  • Une Ecole de maquettes de bateau dans la cour du Musée
  • Des Ateliers de tissage de panier

Enfin, l’Evénement : créer des moments forts en émotion par un calendrier annuel de moments culturels célébrant l’identité du lieu, ajouter d’autres rendez-vous à ceux qui ont déjà fait l’image de marque de Mahébourg :

  • Le Festival de musique Dombeya;
  • Les Régates
  • Le Festival de contes Arbres à Paroles
  • Des événements gastronomiques
  • Un Spectacle son et lumière, sur Bataille du Vieux Grand-Port…

L’enjeu d’un tel programme est évidemment la motivation de l’Etat, l’adhésion de la communauté et le soutien des acteurs économiques. Sans une réelle symbiose de ces partenaires, il ne peut voir le jour. Les premières consultations laissent penser que le projet a toutes ses chances. Un Comité consultatif d’habitants et d’acteurs de Mahébourg, des personnes qui ont un réel intérêt économique et environnemental, devrait maintenant être mis en place : il aurait pour mission d’examiner les différentes initiatives en faisant respecter l’objectif premier du projet et le cahier de charges global approuvé par l’Etat.

Nous pensons sincèrement qu’il est possible de transformer ainsi Mahébourg en cinq ans. C’est ambitieux, alors commençons maintenant ! Comme pour tout Partenariat Public Privé, l’Etat aurait la responsabilité de remettre l’outil en état, de faciliter et de poser un cadre qui permettra au privé d’intervenir dans la zone définie. Le gouvernement semble montrer un réel intérêt et ait initié le mouvement : il est question d’agrandir le marché, de réhabiliter le musée et d’aménager des jardins, l’Etat possédant quelque 90 arpents du centre-ville. Le privé pourrait, histoire de mieux gagner l’adhésion de la communauté, lancer parallèlement quelques projets pilote qui auront fonction de démonstration, de test, de grands événements par exemple.

Le ministère du Tourisme est appelé à piloter ce projet, soutenu par tous les acteurs du monde de l’hôtellerie, des loisirs et de la restauration. Mais il va de soi qu’il ne cible pas principalement le visiteur. Mahébourg a une place particulière dans le cœur et l’histoire du Mauricien, et c’est pour lui d’abord que la ville sera conservée et transformée en haut lieu du patrimoine, du loisir et de la détente. Après tout, ce touriste en quête d’expérience de déplacera pour rencontrer des citoyens heureux et fiers de raconter leur localité.

Cette régénération est urgente. Parce que la destination a besoin d’être soignée, valorisée pour rester attractive. Mais aussi parce qu’il y a un risque réel que le développement n’étouffe les coins authentiques et les villes. C’est un problème mondial ; partout, les villes se décomposent face aux appels de l’attractivité économique. Evitons que Mahébourg ne subisse un sort similaire. Alors que les nouvelles villes intelligentes sont en passe de sortir de terre, préservons intelligemment celles qui font notre identité, notre différence.